LA PETITE

Installation, dentelle et texte, 2002
Série les modèles
0,8m de circonférence x 1m de haut

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J'ai une colonne vertébrale à roulettes, affublée d'une robe de nappe plastique et qui tourne en rond, sans cesse, comme prise d'obstination. Ma robe flotte dans le vide, là, car mon corps ordonné ne remplit presque rien. Ma silhouette devenue obéissante par étourderie, ou par négligence, est plaisante, juste ce qu'il faut, avec cette légèreté de l'absent désir. Ma ballade est simple, à peine un tournant, mais l'habitude me rassure, et je n'ai de cesse de la refaire. C'est la litanie de mes jambes, que mes devoirs accompagnent comme autant de garde-fous, de nourrices sucrées qui m'apaisent avec une tiède parcimonie. Ma promenade est ainsi souhaitable, qu'elle n'offusque aucun badaud à la ronde, sa légitimité, c'est sa douceur. Sa tiède régularité fait écho au motif de ma robe, que communément on trouve jolie. Elle me sied et me plaît, on la prendrait à s'y méprendre pour une étoffe de noeuds précieux. Le tissu du monde semblable est ma pudeur, sa propreté dérobe mes ardeurs aux regards alentours et dessine les atours de ma digne conduite. J'ai un corps qui n'a pas de vice, comme celui des poupons d'enfant, il ondule, lisse et bistre, sans autre soubresaut que les fils qui le tiennent, seulement maculé de perle et de brillant. Mon affabilité est évidente et se délave comme un laisser-passer, mon humeur s'étale comme une devanture transparente, d'où rien de néfaste ne peut s'échapper. J'évolue dans la quiétude d'une famille qui me ressemble, et qui cherche, pour sa fête, les plus belles dragées. Le train des mêmes désirs accompagne nos rires gourmands bien que nos ventres se contentent de mets toujours semblables. J'apprends de ma bienveillance que la variété n'a pas plus de lieux que l'abstinence et, déjà, je frôle le délice de ma maîtrise. La rigueur de mon circuit, c'est ma remarquable raison, c'est ma naissante satiété des choses, ma tranquille satisfaction. Je suis jeune mais j'ai atteint l'âge dit de raison, adulte malgré mon allure et malgré mes chimères. Mon univers est pudique, et j'y tiens office de discrète. Je n'ai pas de voix, du moins une qui porterait haut. Je chuchote mon voyage comme une mélopée gardienne, et mon âme, pour ne pas m'égratigner. Propre et surtout sans odeurs, je suis une poupée de peau endurcie, dont la résistance est certaine puisque que je m'en assure. Prévenants, mes semblables me gardent de trop m'abrutir dans des travers dont je n'ai pas la mesure si réellement j'aspire à un tendre avenir. Ainsi protégée, mon règne est idéal puisque sans heurts, et mon rôle dans le jeu, confirmé. Sans cicatrice apparente, je ne peux avoir peur. De toute évidence, j'habite dans une absence consentie de moi-même, mais sans foi, les échappées belles que ma tête élabore s'éparpillent sans que je puisse les étreindre. Pour être absorbée par le monde, j'accepte les brumes simples aux allures de jours endormis, j'accepte les maigres territoires où je ne peux que figurer une place inoffensive. J'égare tous les doutes qui pourraient me cogner ; je m'entête et me saoule de chansonnettes rassurantes, où il est question de sentiments nobles, de communauté confiante... Je le sais, je ressemble à mon prochain à s'y méprendre. Je ne suis rien d'autre que l'autre confus, qu'un corps ordonné qui ne remplit presque rien et qui tourne en rond, sans cesse, comme pris d'obstination. Rien qui serait problématique au monde.

Texte faisant partie de l'installation - 2002
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